11 Mar Élodie Rakotomizao, agent d’influenceurs
Certains influenceurs engagent, comme les stars, un agent. Car derrière leurs photos instagramées se cachent des contrats âprement discutés. Si elle vit aujourd’hui à Montpellier, Elodie Rakotomizao a fait partie de ce cercle très fermé des agents d’influenceurs parisiens. Elle nous raconte son parcours.
Emma : On aimerait beaucoup savoir qui est Elodie Rakotomizao…
Elodie Rakotomizao : Je suis originaire de Madagascar mais j’ai grandi à Montpellier. J’ai passé plusieurs années à Paris où j’ai créé mon entreprise de gestion d’influenceurs. Je suis revenue ici l’année dernière pour reprendre mes études.
Racontez-nous, comment en êtes-vous arrivée à travailler dans ce domaine ?
Ce n’était pas du tout ce que j’avais prévu ! (Rires) J’ai passé une licence en commerce à Montpellier. Et puis, j’ai eu envie de partir à l’étranger. J’avais déjà vécu six mois à Londres. Je voulais continuer. Je me suis installée à Paris pour travailler et mettre un peu d’argent de côté. C’est sur le Salon de l’automobile que tout a commencé. J’ai été embauchée comme hôtesse pour une quinzaine de jours. Ensuite, tout ne sera qu’une histoire de rencontres. Je suis présentée à un influenceur. À ce moment-là, je ne comprends pas vraiment de quoi il s’agit. On est en 2016. Ils sont loin d’être aussi nombreux qu’aujourd’hui. Chaque jour, plusieurs centaines de personnes se déplacent pour venir à sa rencontre. Je suis fascinée par le « phénomène », je l’invite à déjeuner pour qu’il m’explique son métier. À la fin du salon, je suis embauchée par une entreprise dans la télécom. Mais en parallèle, je commence à travailler avec l’influenceur. Pendant six mois, je vis à un rythme effréné avant de démissionner et de me consacrer à 100 % à mon influenceur.
Mais concrètement, que faites-vous pour lui ?
Tout ! Je crée sa structure, et je deviens presque la gérante de sa société. Je gère la compta, l’administratif, les contacts, les contrats. Tout se passe bien pendant un an et demi. Je fais une rencontre que l’on me recommande, un jeune homme de 21 ans qui manage plusieurs personnes. C’était très rare à l’époque. De mon côté, j’avais une sorte de code moral avec mon influenceur. Il ne voulait pas que je manage quelqu’un d’autre, c’était un peu exclusif. Finalement il acceptera mon association.
C’est à ce moment-là que vous créez véritablement votre structure…
Oui et très vite, on manage une dizaine de très gros influenceurs dans différents domaines du lifestyle au sport, en passant par la danse, l’humour ou encore la beauté.
Comment décririez-vous ce milieu ?
C’est comme dans tous les domaines, il y a du bon et du mauvais. Au départ de tout cela, il y a toujours l’envie de partager. Mais rapidement, il y a la notoriété, les sommes d’argent indécentes… beaucoup en perdent la notion et deviennent de plus en plus exigeants. Souvent, les influenceurs sont jeunes lorsqu’ils démarrent. La plupart n’ont jamais travaillé auparavant. Il n’ont aucune valeur relative au travail, à l’argent et tombent malheureusement vite dans le vice. C’est un milieu parfois très superficiel et éphémère. On touche le fond aussi vite que l’on atteint des sommets. Heureusement, il ne faut pas faire de généralités. J’ai eu de la chance car tous les influenceurs que j’ai managés avaient un vrai talent, c’est à dire qu’ils travaillaient dur.
Y aurait-il deux types d’influenceurs alors ?
Oui, il y a ceux en recherche de célébrité et ceux qui ont vraiment du talent et qui travaillent dur pour produire du contenu.
Et les marques ?
Il fallait souvent remettre les choses à leur place. Certaines avaient des difficultés à comprendre les différences de tarifs par exemple entre un influenceur issu de la téléréalité et mes influenceurs.
Ressentiez-vous le poids du nombre de followers ou de likes aux signatures de contrats ?
Oui cela a un impact, puisque tout se joue avec les chiffres, ce sont des éléments que l’on doit présenter. J’ai eu beaucoup de chance, j’avais déjà fait des campagnes avec des influenceurs et j’avais un retour sur investissement, ce que certaines personnes ne peuvent pas présenter. Mais tout se défend, puisque dans l’influence on ne vend pas toujours de la transformation, on vend parfois seulement de la visibilité. Et dès le début il faut bien mettre les conditions à plat avec les marques, défendre ses intérêts.
C’est un métier difficile…
C’est un métier assez paradoxal. Il apporte beaucoup de richesse, parce qu’on fait de tout, il faut d’ailleurs être assez polyvalent, si l’on n’a des capacités que dans un seul domaine, on ne peut réussir. Mais il faut aussi avoir un très bon relationnel et une très grosse capacité d’adaptation. On négocie des contrats très différents qui nécessitent d’avoir des approches différentes. Cela requiert aussi une grande intelligence émotionnelle. Tout le monde le sait, l’humain c’est le plus difficile à gérer.
Qu’est-ce qui vous a poussée à arrêter ?
On ne peut pas avancer seul, surtout quand on a de grandes ambitions, mais il faut savoir s’entourer. J’ai commis une erreur en m’associant. C’est difficile de trouver la bonne personne avec qui s’associer. Je travaillais tout le temps, je mettais ma vie privée de côté, je devais être disponible en permanence. Les derniers influenceurs que j’ai eus étaient très instables, du jour au lendemain ils pouvaient partir, c’était très superficiel, cela brillait mais c’était tout, et j’en ai eu assez.
Avez-vous complétement arrêté, ou avez-vous toujours un pied dedans ?
De temps en temps, je fais encore du consulting pour certains influenceurs ou des marques qui me contactent. J’étais aussi intervenante à l’ISEFAC, une école de communication où je donnais des cours sur le marketing d’influence. Mais je priorise car je manque de temps. À tout faire, on ne réalise rien de bien au final. C’est une des leçons que l’influence m’a enseignées.
Vous êtes très présente sur Instagram…
Oui. C’est étrange car ce n’était pas prévu, les gens ont commencé à me suivre parce que je manageais des influenceurs et ils étaient curieux de savoir en quoi consistait mon métier ; j’ai acquis grâce à cela une petite audience et les marques me contactaient directement pour me demander des collaborations, des partenariats. Et je continue de le faire, mais je choisis avec qui je veux travailler, parce que j’estime que j’ai une certaine responsabilité. Je fais très attention à tout ce que je partage.
Comment construisez-vous votre contenu ?
Je suis très spontanée, je partage beaucoup je partage beaucoup de ce que je vis sur le plan personnel en story, mais j’aime bien aussi exprimer mes difficultés, et être vraie. Je n’ai pas envie d’enjoliver et d’embellir les choses, j’essaie d’être juste. J’ai aussi les collaborations, donc je me réserve des temps pour les photos, les vidéos, je teste tous les produits que je présente. Je ne me force à rien, si quelque chose ne me plaît pas, je ne le fais pas, j’essaie de ne pas perdre ma spontanéité.
Comment fait-on pour réussir à garder son authenticité quand on passe autant de temps sur les réseaux sociaux en tant qu’influenceur ?
C’est la grosse question et c’est mon sujet de mémoire… pour moi c’est la plus grande difficulté. Les plus méritants sont pour moi ceux qui arrivent à garder les pieds sur terre, qui ont la valeur de l’argent et du travail, qui travaillent dur pour produire leurs contenus, qui refusent certains contrats parce qu’ils ne sont pas en accord avec leur image, qui restent accessibles. Le pouvoir de rester authentique dépend, je pense, foncièrement de la personnalité du blogueur ou de l’influenceur à la base.
Instagram, aujourd’hui est-ce le réseau social de référence ?
Non, c’est sur TikTok aujourd’hui que cela se passe. Il y a de la vidéo, c’est plus ludique, plus parlant pour la nouvelle génération. Tout évolue très vite aujourd’hui, les médias, la communication.
Où en êtes-vous aujourd’hui ?
J’ai repris mes études, je suis en train de finir mon Master en alternance chez Danielle Engel, une créatrice de prêt-à-porter. Nous nous rejoignons sur beaucoup de nos valeurs, elle est profondément humaine, l’éthique fait partie de l’ADN de sa marque.
Aimeriez-vous revenir à l’influence ?
En tant que consultante oui, mais en tant que manageur d’influenceurs, non. Par contre être dans le milieu, et développer des projets qui touchent à l’influence, accompagner les entreprises, cela me plairait. Je ne veux pas manager des personnes simplement pour les manager, je veux de vrais projets qui animent, accompagner des personnes qui m’intéressent, qui ont de l’esprit, et qui veulent proposer du concret.
Propos recueillis par Marie Gineste /Photos @Charlène Pélut