19 Juil Montpellier, une ville de femme
Par son histoire, mais plus surprenant par sa démographie, Montpellier est une ville de femmes. La surdouée a en effet son lot de « mythes » féminins, à commencer par la beauté « légendaire » des Montpelliéraines et leur émancipation précoce. Mais leur histoire s’apparente davantage à la mémoire qu’à l’histoire proprement dite. Pourtant, elles ont construit la ville et plus encore, elles témoignent d’un regard porté sur leur condition au fil des siècles.
Les oubliées
Si beaucoup connaissent Juliette Gréco, peu ont entendu les noms de Jeanne Galvi, Françoise de Cezelli, Marie de Montpellier, Albine de Montholon ou encore Laure Moulin. Travailleuses, célèbres ou anonymes, meneuses de révoltes, résistantes ou artistes, elles ont pourtant doté la ville d’un patrimoine immatériel fait de cultures, de valeurs et de traditions. C’est d’ailleurs le sujet du livre Intitulé « Montpellier, cité des belles dames » de l’historienne Maguelone Nouvel-Kirschleger. Du mythe fondateur à la réalité historique, elle propose une analyse complète et précise du rôle et du statut des femmes à Montpellier. C’est ainsi que l’on découvre que la légende des « belles dames de Montpellier » remonte à Charles VI et s’est construite au fil du temps. Un livre qui accorde donc une place à un thème peu étudié, celui du rôle des femmes dans la société montpelliéraine. De Justine, l’héroïne de Sade, fille de notable, « la belle Montpelliéraine » de Casanova à Albine de Montholon le dernier amour de Napoléon ou encore les héroïnes du film « L’Homme qui aimait les femmes » de François Truffaut, on croise des femmes belles, intelligentes mais aussi libres et émancipées, qui ont focalisé l’attention de toute une société. Des femmes de la haute société mais aussi des femmes du peuple, les fameuses grisettes qui, par leur tenue et leur port, transcendent leur classe sociale.
Une figure emblématique
Elle apparaît dans les textes à la fin du XVIIe siècle. À mi-chemin entre la fille du peuple et la demoiselle de la bonne société, elle est dotée d’une renommée qui illustre à la fois l’histoire économique de la ville, l’élégance des Montpelliéraines et les origines légendaires de la cité surnommée le « mont des jeunes filles ». Selon Jules Renouvier, historien et politicien né à Montpellier, à côté de la Marseillaise ou encore de l’Arlésienne, la Montpelliéraine se démarque par sa beauté, « ses yeux bleus, ses cheveux châtains, son nez court, fin, séparé du front, sa démarche légère, ses formes mignonnes ». L’époque romantique en fera un type social reconnu, largement décrit dans la littérature.
Portraits
Marie de Montpellier (1180-1213)
Marie de Montpellier est la fille unique de Guilhem VIII et de l’impératrice Eudoxie Comnène. D’abord écartée de la succession, elle est proclamée héritière de la seigneurie après que ses demi-frères eurent été déclarés illégitimes. Dépouillée de ses biens par son mari le roi Pierre II d’Aragon, elle revient sur le devant de la scène, portée par les Montpelliérains qui se révoltent contre ce dernier en 1207. Marie sera finalement investie de la seigneurie en avril 1208, en dépit de la Coutume qui exclut les femmes.
Françoise de Cezelli (1558-1615)
Surnommée « la Jeanne d’Arc Languedocienne » pour avoir défendu la forteresse de Leucate assiégée par les armées espagnoles en 1590, Françoise de Cezelli est née à Montpellier le 28 mai 1558. Elle reste fidèle à Henri IV face aux Ligueurs ultra-catholiques qui contestent sa légitimité, mais son mari sera fait prisonnier et exécuté sous ses yeux par les Espagnols. Une plaque sur sa maison natale rue du Petit-Scel honore sa mémoire.
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Anne de Conty d’Argencourt (1641-1718)
Bienfaitrice de l’Œuvre de la Miséricorde, elle serait née en 1641. Membre de la Maison de la reine Anne d’Autriche, elle devient, selon Bussy-Rabutin dans son « Histoire amoureuse des Gaules », la maîtresse du jeune Louis XIV et aurait été impliquée dans l’Affaire des Poisons. À sa mort, elle lègue aux pauvres sa maison de la rue Montpelliéret, devenue depuis Maison de l’Œuvre de la Miséricorde puis siège du Bureau de Bienfaisance et Centre communal d’Aide sociale de la Ville.
Laure Permon, Duchesse d’Abrantès (1784-1838)
Femme de lettres et auteure, elle est la fille de Nicolas Auguste Charles Martin de Permon, receveur particulier des finances du diocèse de Narbonne, et de Laure Marie de Comnène, descendante des anciens empereurs de Constantinople. Elle fait partie de l’entourage proche de Napoléon Bonaparte. Figure des salons du Directoire, elle épouse en 1800 Jean-Andoche Junot, futur général d’Empire et duc d’Abrantès. Veuve en 1813, elle se consacre ensuite à l’écriture et devient la maîtresse de Balzac. Elle meurt dans le plus grand dénuement à Paris le 7 juin 1838.
Marie Caizergues, (1797-1851)
Née à Montpellier le 26 juillet 1797, la religieuse est une des principales bienfaitrices de l’Œuvre de la Miséricorde de Montpellier. À sa mort, le 31 mai 1851, sa propriété devient un établissement d’accueil destiné aux orphelins de la ville, puis une maison d’enfants à caractère social. Établissement public communal depuis 1991, c’est aujourd’hui le Centre Marie-Caizergues.
Agnès McLaren (1837-1913)
Première femme diplômée de la Faculté de Médecine de Montpellier, elle milite d’abord pour le droit de vote des femmes en Écosse. Elle reçoit le titre de docteur en 1878 pour une thèse consacrée à l’ « Étude sur les flexions de l’utérus ». À partir de 1905, elle s’engage totalement dans des missions humanitaires en Inde à travers la Medical Mission Committee de Londres.
Louise Guiraud (1860-1918)
C’est l’une des grandes historiennes de Montpellier. Son œuvre comprend plus de vingt volumes allant de la topographie montpelliéraine au Moyen Âge à l’histoire de la Réforme. Membre de la Société archéologique depuis 1891, elle est aussi secrétaire générale de l’Œuvre de Notre-Dame-des-Tables. Lors de la démolition de la Halle aux colonnes, place Jean-Jaurès, elle conduit les fouilles pour retrouver les vestiges de la crypte de l’église Notre-Dame-des-Tables détruite sous la Révolution.
Suzanne Babut (1887-1978)
Petite-fille du célèbre botaniste Émile Planchon, Suzanne Émilie Eugénie Planchon est née à Montpellier le 22 février 1887. Résistante et Juste parmi les Nations, elle hébergera à partir de l’automne 1942 et jusqu’en 1945, une cinquantaine de Juifs au nez et à la barbe des Allemands établis dans le même quartier. Elle participera à la fondation de l’Abri Languedocien, une association qui vient en aide aux jeunes filles mineures.
Laure Moulin (1892-1974)
Sœur aînée de Jean Moulin, elle s’installe à Montpellier à partir de 1917 au 21 de la Grand-Rue. Pendant la guerre, elle seconde son frère dans son action clandestine de résistant. À la Libération, elle crée le foyer Jean-Moulin aujourd’hui disparu. Conseillère municipale élue en mai 1945, elle sera promue, en août 1962, Chevalier du Mérite social pour son action. Gardienne de la mémoire de Jean Moulin, elle est l’auteur notamment d’une biographie parue en 1969.
Texte Marie GINESTE