Rencontre avec Emma Colberti

Emma Magazine : Emma, j’ai pu lire qu’il ne s’agissait pas de votre vrai prénom… Pourquoi ce choix ?

Emma Colberti : Mon vrai prénom, c’est Marie-Emmanuelle. Mais en réalité, on m’a toujours appelée Emma. Initialement, ma mère avait choisi le prénom d’Emmanuelle, qui au passage est un prénom que j’adore aussi, mais à l’époque il y a le livre érotique qui sera ensuite adapté au cinéma. Mon père a clairement eu peur des références. Ils aimaient aussi Marie donc ils ont choisi de me donner les deux. N’étant pas vraiment pour les prénoms composés, je n’ai jamais eu d’affection particulière pour le mien. Il m’est apparu comme une évidence de choisir Emma pour ma carrière.

 

Comédienne, est-ce une vocation d’enfance ?

L’attrait pour le spectacle, oui. À six ans, j’ai exprimé à mes parents mon choix de devenir trapéziste. J’avais été profondément marquée par le film « Trapèze » de Carol Reed. Au-delà de la discipline, j’étais fascinée par l’univers : les gens du voyage, le chapiteau, les roulottes. Je l’ai toujours en moi d’ailleurs, j’adore ça ! Finalement je ne persiste pas dans cette voie car à l’époque, on ne montait pas au trapèze comme cela, il fallait déjà apprendre les bases, la danse classique, le jonglage, à être équilibriste… c’était un long apprentissage. Je n’ai pas eu cette patience. À neuf ans, je prends mes premiers cours de théâtre. Je découvre que le théâtre est ma passion. Les choses se sont ensuite naturellement enchaînées.

 

Quel regard portez-vous sur vos débuts ?

Mes débuts, je les assimile aux cours Jean-Louis Martin-Barbaz que j’ai suivis pendant trois ans. J’ai fait partie de la première promotion, aujourd’hui c’est une école d’état très réputée. C’est à cette époque que je joue pour la première fois devant un public de 400 personnes. Nous jouions dans des cabarets dansants mais aussi des pièces que nous montions. Nous n’étions pas rémunérés, mais nous vivions cependant dans le stress d’une représentation. Nous répétions plusieurs semaines avant, le soir nous étions dans les loges, nous nous préparions, nous ressentions toute cette excitation du théâtre. Rapidement, j’ai obtenu mes premiers tournages. Mais je me souviens avec émotion du rôle que m’avait donné le réalisateur Alain Schwartzstein dans la série « Nestor Burma » avec Guy Marchand. Elle était encore filmée en pellicule, c’était très glamour. Alain, avec son œil de chef opérateur et de photographe, a été l’un des premiers à me faire comprendre la lumière. Dans le cinéma c’est très important, ça fait partie du tableau. J’ai adoré apprendre à me positionner. J’avais l’impression de toucher un peu du doigt ce que les comédiennes des années 40 vivaient. Gina Lollobrigida, Ava Gardner, Rita Hayworth… J’étais en pâmoison devant toutes ces comédiennes. Je rêvais d’être elles.

 

En 1996, vous décrochez l’un des rôles principaux dans la série « Jamais deux sans toi…t ». C’est un peu le rôle qui vous fera connaître du grand public. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?

J’avais 23 ans. Je savais que j’étais au cœur d’un projet novateur et ambitieux mais je ne m’attendais pas à cette fulgurance. Tout le monde a cru que la série était produite par AB mais pas du tout. Au contraire, que ce soit avec les comédiens, les réalisateurs ou les producteurs, nous ne voulions pas être dans cette veine-là. Nous avions un véritable esprit de troupe, et nous nous motivions les uns les autres pour que notre jeu soit très naturel et spontané. Au-delà du fait que c’est une série qui m’a permis d’être connue du grand public, j’ai beaucoup appris, et j’ai rencontré des personnes que j’ai vu éclore comme cela, un peu en même temps que moi, finalement. Christine Coutin, qui est l’initiatrice de ce projet, a fait ensuite « Cap des Pins » avec Mélanie Maudran, mais c’est surtout elle qui est au départ de la série « Plus Belle la Vie ». Éric Assous, l’auteur principal des textes, est aujourd’hui un très grand auteur de théâtre. On a eu aussi quelques auteurs de cinéma, j’ai en tête Laurent Tirard qui a réalisé « Le Petit Nicolas ». Et en figuration « améliorée », nous avons eu Éric et Ramzy ! Ils jouaient au Café de la Gare à Paris à l’époque, c’étaient leurs débuts. Toutes ces rencontres ont un peu orienté mon chemin de comédienne.

 

Ensuite vous enchaînez les apparitions dans des séries, des téléfilms puis au cinéma. Et le théâtre ?

Le théâtre, c’est ma base. Je n’en fais pas assez à mon goût. Mais c’est mon premier amour. J’aimerais m’y consacrer davantage, j’ai besoin de passer par les planches. Sur scène on est en direct avec le public, et cette mise en danger chaque soir, c’est une excitation capitale. En même temps, c’est une mise en abîme de soi car il y a une vraie mise à nu. J’associe justement cela au travail de l’équilibriste qui tient sur un fil. Une fois que l’on entre dans l’arène, c’est l’inconnu. Et j’aime cela. Le moment présent, c’est un moteur dans ma vie. J’aime les « accidents », les rencontres, les coups de grâce… Je laisse toujours la porte ouverte à ce qui peut arriver. Vous savez, au théâtre, il se passe toujours quelque chose et le public n’est jamais le même.

 

La dernière pièce que vous avez jouée était « Betty » …

Oui au Théâtre du Gymnase. C’était une superbe expérience. J’ai adoré la pièce, le rôle de cette femme qui connaît une histoire avec un jeune qui a vingt ans de moins qu’elle. Humainement c’était intéressant, étant donné que ce garçon était plus jeune que mon propre fils (Rires). C’était troublant !

 

Depuis 2018, vous incarnez le rôle d’Eve dans la série « Un si grand Soleil » diffusée sur France 2. Pouvez-vous nous parler de votre personnage ?

Je pense que c’est un personnage complexe. D’elle, je ne connais pas grand-chose, sinon qu’elle est la mère d’Eliott, qu’elle a un penchant pour les histoires d’amour compliquées, comme avec le père de son fils qui est un pervers narcissique. Elle est prof de lettres au lycée. Et c’est tout.

C’est une femme qui aime se mettre en difficulté.

Comme j’ai fait quelques études en psychologie, je me suis posé des questions sur le personnage pour essayer de comprendre qui est cette femme.

Je pense qu’elle est issue d’une famille assez équilibrée, probablement modeste mais je pense qu’elle a dû avoir néanmoins des rapports compliqués avec son père. Elle n’a peut-être pas eu un père reconnaissant qui l’a mise en confiance. On le ressent même dans la relation très particulière qu’elle entretient avec son fils, il est très dur avec elle et en même temps il y a une forte fusion entre eux. Il n’est pas normal d’être autant attaché à son fils. Il existe vraisemblablement un manque du genre masculin. Est-ce qu’elle a des parents divorcés, est ce que son père l’aurait abandonnée ?

Je pense en revanche que c’est une femme qui s’est structurée un peu de façon autodidacte, c’est comme si, au fil du temps, elle s’était imposé une forme de rigueur de vie, de rigidité. Elle effectue son travail et elle le fait bien, elle a des valeurs mais on a envie de voir sa vraie part humaine. C’est une personne très empathique, elle aime écouter autrui, conseiller. Ses amis l’aiment, c’est une femme sur qui l’on peut compter. Je prends beaucoup de plaisir à interpréter ce rôle.

 

Quelle direction aimeriez-vous qu’elle prenne ?

On a envie de voir ce qu’il y a sous cette rigidité. On en a une approche lorsqu’elle vit cette histoire d’amour avec Justine. Elle abandonne quelque peu sa réserve, elle entrouvre une fenêtre. Cette capacité de dire à son fils « allez, on fait du blanchiment d’argent, je vais t’aider », m’amène à affirmer qu’elle a un côté fou. Dans son essence même, je pense que c’est une femme qui peut être incroyablement libre. Cependant, elle ne se le permet pas. Mais on a envie de voir cela chez elle. On a envie de la voir briser la structure dans laquelle elle s’est enfermée ou dans laquelle on l’a mise, et d’aller vers sa propre essence.

 

Comment vos journées de tournage se passent-elles ?

Bien ! La grande nouveauté pour moi, c’est qu’il y a quatre équipes de tournage. On peut en changer plusieurs fois par jour ! Cela nous demande de nous adapter de suite, de réagir dans l’immédiateté, de nous mettre dans le « mood » très vite. Cela me rappelle le théâtre. Au quotidien, c’est vrai que c’est un peu différent dans le contexte actuel. En tant que comédiens, nous sommes « chanceux » car nous portons moins le masque que d’autres, ne serait-ce que lorsque nous jouons. Mais nous voyons que c’est difficile pour les techniciens. Maintenant tout le monde joue le jeu, nous sommes tous heureux de pouvoir tourner.

 

Connaissiez-vous Montpellier ?

Non pas du tout, je connaissais la Camargue que j’adore. Mais je ne connaissais pas l’Hérault. C’est une jolie découverte. Le reste du temps je vis à Paris mais je prends plaisir à venir ici plusieurs fois par mois.

 

Dans le cinéma français mais aussi au théâtre comme à la télévision, les voix se sont élevées pour dénoncer le sexisme et les violences sexuelles. Souhaiteriez-vous vous exprimer ?

Je ne suis pas féministe. Je ne suis pas pour que la femme vive comme dans les années 40, pour autant je pense qu’une femme est une femme, un homme est un homme. Nous ne serons jamais identiques.

Je suis pour la parité dans le travail, mais chacun a ses capacités. Et j’aime ces différences, j’aime que nous puissions nous retrouver dans nos différences. Pourquoi vouloir être pareils ?

Maintenant je ne tolère pas les violences faites aux femmes. Par exemple, je n’accepte pas ce qui s’est passé dernièrement au Musée d’Orsay, à savoir le fait que l’on refuse l’accès à cette femme à cause d’un décolleté trop plongeant. C’est un jugement de valeur inacceptable. De même je ne trouve pas normal qu’une femme soit censurée sur Instagram parce qu’elle montre un bout de téton. On ne dit rien à un homme qui se montre torse nu. Je ne vois pas en quoi les tétons d’une femme sont plus sexuellement excitants. Si cela crée des réactions perverses chez certains hommes, les femmes n’en sont pas responsables. Après il ne faut pas non plus être dans la provocation en permanence. Les hommes et les femmes doivent se compléter.

 

Propos recueillis par Marie GINESTE / Photos @Guilhem CANAL