11 Mar Richard Juste, Chef du restaurant Mahé
S’il fait partie des chefs qui agitent la gastronomie à Montpellier, c’est aussi un homme de conviction qui n’a pas peur de mettre en avant les femmes dans son restaurant. Le chef du restaurant Mahé a répondu sans tabou à toutes nos questions. Rencontre.
EMMA : Si le Michelin a primé quasi quatre fois plus de cheffes dans son édition 2020 qu’il y a dix ans, il n’en reste pas moins que les femmes représentent une infime partie des restaurants sélectionnés par le guide rouge. Diriez-vous que le milieu de la cuisine, particulièrement celui de la haute gastronomie, est plus machiste qu’un autre ?
Richard Juste : Pas forcément. Je dirais que c’est comme dans d’autres secteurs. On ne va pas faire des quotas, je suis contre. Mais ce qui est sûr, c’est qu’en dix ans, il y a eu une véritable évolution ! Il y a de plus en plus de femmes cheffes ou secondes, et surtout de plus en plus de femmes étoilées. On oublie souvent une chose pourtant fondamentale : ce sont les femmes qui sont à l’origine de la cuisine que l’on connaît. Elles ont toujours été aux fourneaux, et certaines sont entrées dans la légende, comme la mère Brazier ou la mère Blanc.
Pourtant en France, 52 % des élèves des écoles de cuisine sont des filles, mais 94 % des chefs sont des hommes. Comment l’expliquez-vous ?
Encore une fois, cela dépend des maisons mais peut-être aussi de la taille de la brigade. J’ai beaucoup travaillé dans des restaurants familiaux où les femmes étaient très à l’aise et avaient toute leur place à des postes importants. Dans les grosses brigades, les mentalités sont différentes et c’est une tout autre histoire. J’ai moi-même vu des femmes se faire malmener en cuisine. Mais heureusement les choses évoluent, les mentalités changent.
Que ce soit en cuisine ou en salle, dans votre restaurant, il n’y a que des femmes. Vous êtes le seul homme. Cela a-t-il été un choix ?
Non, pas véritablement. Mais lorsque j’ai commencé les recrutements du Mahé à l’ouverture du restaurant, j’ai reçu essentiellement des CV de femmes. Les choses se sont faites assez naturellement. Depuis deux ans, c’est Amélie qui me seconde et cela se passe très bien. Elle a été dans des grosses brigades, elle en a un peu bavé mais elle a réussi à s’imposer en montrant de quoi elle était capable. Dans sa sensibilité, le dressage des assiettes, le nettoyage, l’organisation, elle est beaucoup plus rigoureuse qu’un mec ne le serait. De manière générale, les femmes sont plus rigoureuses. Leur approche esthétique est plus soignée.
Les discriminations que subissent les femmes au quotidien vous interpellent-elles ?
J’ai toujours été entouré de femmes, et j’ai eu ce modèle-là en grandissant.
J’adorais être aux fourneaux avec ma grand-mère et ma mère. Ce sont elles qui m’ont donné l’envie de faire de la cuisine. Elles m’ont montré que les femmes sont capables au même titre que les hommes, donc oui cela me dérange. En cuisine, elles subissent des préjugés sociétaux profondément ancrés sur le fait de mener une carrière et d’avoir une vie de famille. Mais je crois que c’est le cas même dans d’autres secteurs d’activités.
Et en tant que père d’une petite fille, êtes-vous inquiet ?
J’ai deux garçons et une fille de cinq ans. J’ai toujours été sensible à la question, mais son arrivée m’a encore plus ouvert l’esprit. J’ai peur évidemment à tous les niveaux, on ne sait pas de quoi sera fait l’avenir. J’ai beaucoup d’appréhension mais c’est ainsi. Heureusement, la parole s’ouvre et les mentalités évoluent, même s’il y a encore beaucoup de travail à réaliser.
Qu’est-ce qui doit changer, selon vous ?
Je pense qu’il faut éduquer les plus petits, c’est le plus important.
Selon vous, quel rôle les hommes ont-ils à jouer dans le féminisme ?
Les hommes doivent changer de mentalité. Évoluer vers des relations plus équilibrées et égalitaires.
En salle, c’est Sabrina, votre épouse qui opère…
Je n’ai jamais compris pourquoi on mettait systématiquement le chef en avant, presque au point d’effacer le reste. J’estime que le travail en salle est extrêmement important. Oui les gens viennent pour manger, mais aussi pour passer un bon moment. Nos deux activités sont très complémentaires et cela ne me pose aucun problème de travailler avec ma femme. Notre union, c’est un peu celle de la sagesse. On essaye d’avoir du recul, le tout c’est d’être heureux. Et cela il nous faut le construire, travailler, réussir à trouver un juste équilibre, et faire perdurer l’effort pour être constants.
Propos recueillis par Marie Gineste /Photos @Charlène Pélut /@Guilhem Canal