Une journée à la découverte de Tavel

Avec son caractère unique, son accent du Sud, ses parfums enivrants, ses vins généreux, Tavel sait se montrer séduisante. Si la vigne y est reine, son histoire locale, son marché coloré et sa gastronomie font d’elle une terre hédoniste qu’il convient de découvrir avec douceur. Au croisement du Vaucluse, de l’Ardèche, de la Drôme et des Cévennes, notre escapade nous entraîne au cœur d’un vignoble d’hommes de cœur et de tradition. Mais aussi au sein de la cité des Papes pour un interlude gastronomique haut en saveurs.

 

Nous démarrons sans plus attendre par une halte à la Chapelle Saint-Ferréol, cédée en 1189 par l’évêque d’Avignon à l’abbé de Saint-André de Villeneuve-lès-Avignon ; des travaux de restauration mettront à jour des fresques qui retracent les exploits de Saint Ferréol. Nous continuons notre promenade singulière au cœur du village. Dans le même thème, nous visitons la très ancienne église Saint-Pierre. Située juste derrière l’église, la fontaine du village construite en 1822 servait, en dehors de son usage premier de distribution d’eau, à « embuguer » les tonneaux à l’approche des vendanges. Adossés au lavoir du XIXe siècle encore fonctionnel, 62 jardinets aux petites parcelles clôturées de pierres sèches et alimentés par des rigoles d’irrigation ouvrent une page d’histoire et nous immergent au cœur même de l’âme provençale. Appelés les Jardins de la Condamine, ils ont probablement été répartis entre tous les paysans juste après la Révolution, se voyant accorder un morceau de terre ayant appartenu au seigneur du village.

Si Tavel possède une riche histoire, c’est aussi le berceau d’un vin connu. Classé « Cru des Côtes du Rhône » depuis 1936, le premier rosé de France se retrouve aujourd’hui sur toutes les grandes tables gastronomiques du monde. Pour découvrir ces terres, nous empruntons la Route des vignobles. À parcourir à pied ou en voiture, cette petite voie vicinale de 12 km longe les 960 ha du vignoble. Nous traversons tour à tour les trois terroirs qui ont fait la réputation des rosés de Tavel. Les sols de galets de quartz roulés, les cailloutis calcaires formés de lauzes, et les sables. Nous nous arrêtons sur la butte qui accueille une table d’orientation. La vue à couper le souffle embrasse toute la plaine du Rhône, des Dentelles de Montmirail au nord, jusqu’aux premiers contreforts du Luberon au sud, en passant par la plaine de Carpentras, le Mont Ventoux et Avignon. Des parfums enivrants de thym et de romarin nous enveloppent.

Une première dégustation s’impose au Domaine Lafond Roc Épine où nous rencontrons Jean-Baptiste Lafond. Appartenant à la quatrième génération de vignerons, il exploite avec son frère François 80 ha de vigne passés en bio depuis 2009 sur les terroirs des appellations Tavel, Lirac et Côtes du Rhône. Leurs deux Tavel, Domaine Lafond Roc Épine et l’Esprit de Roc Épine, sont marqués par la finesse et les beaux arômes mis en valeur par une vinification soignée.

En repartant, nous nous arrêtons au Clos de la Genestière pour déjeuner au restaurant la Courtille. Cette ancienne magnanerie en pierre blanche avec ses tables en fer forgé dressées sur le gravier à l’ombre d’un valeureux cèdre multicentenaire propose une bonne cuisine régionale et méditerranéenne orchestrée par Natalia Crozon. Formée aux fourneaux du bistrot parisien Le Baratin, elle trahit, à travers son ardoise, un attachement pour une belle cuisine du quotidien où l’accent est mis sur la qualité des produits. Soupe de courgette et pesto à l’ail, raviolis de blette, fromage de tête, fricassée de râble de lapin en tomate, pavé de maigre vapeur, pomme de cœur de ris de veau, tout est dit !

Sur place nous rencontrons Joris et Thibault, les deux fils d’Éric Pfifferling, vigneron magicien du Domaine de L’Anglore. Ce n’est pas un hasard, puisque Thibault partage la vie de Natalia.

Dans les années quatre-vingt, Éric Pfifferling est apiculteur-viticulteur, adhérent de la cave coopérative et déjà très impliqué dans ses deux métiers. Il baigne dans deux univers vivants et similaires où la connaissance de la flore, des insectes, des arômes, du sol et du climat, est essentielle pour mener à bien du bon travail. Après les inondations de 2002, il prend la décision de se consacrer exclusivement à la vigne. Il quitte la cave coopérative et se concentre sur sa propre définition du vin. Il bannit les traitements chimiques. La culture biodynamique s’impose naturellement à lui, il désire se sentir en phase avec sa terre, en accord avec le vivant. Un principe qu’il partage avec ses deux fils qui l’ont depuis rejoint dans l’aventure. Leur Tavel est un très beau vin de gastronomie, dense et complexe.

Un arrêt à la cave coopérative s’impose. Nous rencontrons un jeune coopérateur, Jean-François Paly. Œnologue de formation, vigneron depuis 2017, le trentenaire est issu d’une longue lignée de vignerons. Son arrière-grand-père a contribué à la construction de la cave en 1936. Aujourd’hui sa famille exploite en agriculture raisonnée plus de 60 ha morcelés entre Tavel et Lirac.

Ils sont une centaine comme lui à vivre grâce à la cave coopérative. On y produit du rouge, du blanc et bien évidemment du rosé de goût et de terroir. La dégustation nous démontre que le Tavel est un cru qui s’adapte de l’entrée au dessert sans aucune difficulté.

Nous reprenons la route en direction du Château d’Aqueria où nous attend Raphaël de Bez, un producteur incontournable de l’appellation. Depuis des décennies, le Château est l’une des propriétés majeures de Tavel et de Lirac. Avec de belles notes évoquant les fruits rouges frais, son Tavel constitue un très beau rosé de garde qui s’apprécie aussi sur la jeunesse.

Nous remontons maintenant vers Avignon à la découverte des ruelles sinueuses du centre-ville avant de nous rendre à la table du chef étoilé Guilhem Sevin pour dîner. Voilà quatre ans qu’il a repris la Maison au chef Christian Etienne. La terrasse attire le regard. Les décors fascinent avec la salle principale classée aux Monuments Historiques et inscrite au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO. Mais si les pierres et les fresques nous transportent au XIIIe siècle, l’assiette, elle, est définitivement contemporaine. Le chef défend la rigueur des bases techniques dans l’élaboration des jus ou la cuisson des viandes et poissons, mais apporte une réelle inventivité lorsqu’il s’agit des jeux de textures ou de déclinaisons. À l’écoute des saisons, heureux de valoriser des fournisseurs locaux, Guilhem Sevin a développé aussi pour ses recettes un rapport à la santé qu’il défend avec la seule volonté d’être au service du bon.

 

Texte Marie GINESTE / Photos @Guilhem CANAL